La suprématie du dollar américain

 

Les accords de Bretton Woods, signés au lendemain de la seconde guerre mondiale, fixèrent les parités entre les différentes monnaies sur la base de la convertibilité du dollar en or. Le système des changes fixes s’installait et avec lui s’affirmait la domination du dollar dans le monde.

Ce système de l’étalon de change-or vola en éclats en 1971, lorsque l’émission monétaire américaine fut telle que les réserves d’or de Fort Knox ne suffirent plus à assurer la parité du dollar. Sans chercher à savoir s’il existait un système intermédiaire, on est passé peu de temps après des changes fixes aux changes dits flottants, c’est-à-dire d’un excès à l’autre.

Mais la suprématie de la monnaie américaine n’en fut pas entamée pour autant et il semble bien d’ailleurs qu’elle le doive à son abondance.

A aucun moment de leur histoire contemporaine, les Etats-Unis n’ont hésité à faire fonctionner la planche à billets pour nourrir leurs besoins monétaires. Sûrs de leur position de force, ils n’ont jamais pratiqué leurs échanges dans une autre monnaie que la leur et ont réussi à l’imposer dans le monde entier, tant à l'exportation qu'à l'importation.

Même si elle a connu des périodes d’embellie, la balance commerciale américaine n’a cessé d’accumuler les déficits, aussi les quantités de dollars dans le monde sont immenses. Si le dollar est resté une monnaie de réserve, ce n'est pas parce qu'elle a été choisie (sauf peut-être après la guerre) par la plupart des banques centrales qui en sont les dépositaires, c’est parce qu’il faut bien que quelqu'un détienne tous ces dollars qui tiennent lieu de lettres de créance. Même s’ils sont, de plus en plus utilisés à l'achat d'obligations ou de bons du Trésor américain.

En revanche, il ne faut pas perdre de vue le fait que tous ces pays détenteurs de dollars ont dégagé symétriquement des excédents commerciaux dans cette monnaie qu’ils ont échangée contre monnaie nationale.

Dans tous les pays du monde, excepté aux Etats-Unis, la pratique générale veut que les banques commerciales qui reçoivent les devises de leurs clients, les convertissent en monnaie nationale, puis les déposent à la Banque centrale de leur pays qui les met en réserve.

Il faut rappeler ici que les banques centrales sont garantes de la solvabilité de leur pays, c’est pourquoi elles détiennent des réserves d’or et de devises.

Ainsi, à l'actif des banques centrales des pays qui sont en position d'excédents commerciaux vis-à-vis des USA, il y a des dollars (qui s’ajoutent à d’autres devises) qu’elles ont accumulés pour renforcer leur solvabilité nationale. On peut avancer, sans risque d’erreur, qu’elles se passeraient fort bien de détenir cette monnaie lorsqu'elle est attaquée sur les places financières, car dans ces conditions elles assistent impuissantes à la baisse du dollar et avec elle celle de la valeur de leurs réserves, sans pouvoir intervenir sous peine d'accentuer l'effondrement des cours.

Tant que les USA n’auront pas résorbé leur déficit accumulé (mais est-ce souhaitable ?), le dollar restera la monnaie de réserve des banques centrales qui ne pourront s’en défaire, puisqu’elle représente leurs titres de créance sur ce pays. Qui, dans ces conditions, serait tenté de les racheter ? Sûrement pas les Américains contre de l’or !

Les Etats-Unis, ne commerçant pratiquement qu’en dollar, n’ont jamais eu l’occasion de recevoir et d’engranger des devises étrangères. Aussi, à l’actif du bilan de la Banque centrale américaine (la Fed), il n’y a pas de réserve de devises étrangères (hormis quelques devises en stock). C’est toute la différence, et elle est importante.

Si la solvabilité d’un pays est assise sur les réserves d’or et de devises que détient sa Banque centrale, la solvabilité des USA est assise sur ses seules réserves d’or.

On peut ajouter que depuis 1971, l’émission de dollars n’a fait que s’intensifier. Aussi, dans l’hypothèse où les Etats-Unis, à l’inverse de la situation actuelle, dépendraient d’une monnaie étrangère, on peut se poser la question de savoir si le pays ne serait pas en état de cessation de paiement, comme l’était il y a peu l’Argentine !

Une autre question tout aussi importante se pose : d’où proviennent tous ces dollars dont disposent les banques centrales : de l’émission monétaire ou bien de l’épargne étrangère (ainsi que tous les spécialistes le croient ou le font croire) ou des deux ? Il ne fait guère de doute, nous semble-t-il, qu’elles sont issues de l’émission monétaire, en contrepartie de créances détenues par les banques commerciales qui sont à l’origine de leur création. On sait, en effet, que le peuple américain plus que tout autre vit à crédit, y compris pour consommer les produits importés.

Si l’on veut bien mettre de côté les opérations spéculatives sur le dollar, suivons le processus de fonctionnement des circuits monétaires extérieurs qui lui sont associés.

On vient de voir également que les dollars entrant dans un pays quelconque sont échangés en règle générale contre la monnaie du pays d’accueil et par le fait même donnent lieu à une émission monétaire nationale. Et, cette monnaie nouvelle va servir au développement de l’activité économique de ce pays.

Il apparaît donc ici clairement qu’il ne s’agit en aucun cas d’une épargne étrangère qui financerait les déficits commerciaux des USA.

Pourtant, et c’est là tout le paradoxe, les détenteurs de dollars semblent bien financer ces déficits. Mais comme en fait il s’agit de dollars émis par le débiteur lui-même, et remis en garantie de ses créances, on peut avancer que les USA financent eux-mêmes leurs déficits commerciaux en remettant du « papier-monnaie » à leurs fournisseurs étrangers.

Les déficits commerciaux américains ne sont donc pas financés par l’épargne étrangère. La planche à dollars est là pour ça !
Bien au contraire, ces déficits contribuent à alimenter la croissance du pays étranger excédentaire qui reçoit ces dollars, puisque ceux-ci donnent lieu à une émission monétaire au moment de leur conversion dans la monnaie du pays.

Par ailleurs, il faut bien voir que ces dollars détenus en réserve par les banques centrales sont inscrits au crédit de leurs comptes ouverts dans une ou plusieurs banques américaines. La monnaie scripturale ne quitte jamais le pays d’émission.

Aussi, les banques centrales qui disposent de dollars ont-elles intérêt à les placer à terme sur les marchés monétaires, et elles ne doivent pas s’en priver. Elles n’ont aucune raison de les conserver en compte. Il est aussi fort probable qu’elles achètent, pour partie, des obligations émises par le gouvernement américain. Dans les deux cas, le dollar est remis dans les circuits.

La question primordiale est donc bien la suivante : Quels sont les véritables risques encourus par cette profusion de dollars à l’étranger ?

Si l’on écarte la spéculation qui peut être un facteur de déstabilisation monétaire, cette abondance de monnaie américaine est bénéfique, puisque tout le monde en tire profit, sauf les Etats-Unis qui doivent faire face à une balance commerciale déficitaire, celle-ci agissant à la baisse sur la croissance, comme on l'a vu avec la loi macroéconomique.

Le véritable danger réside plutôt, nous semble-t-il, dans une sortie massive de dollars comme en ont connu certains pays d’Asie et d’Amérique du Sud, avec à la clé une dépression monétaire nationale.

Depuis peu sont apparus les fonds souverains, qui ne sont rien d'autres que les réserves de change des pays exportateurs ou des pétrodollars détenus par les émirs. Ces fonds et les émirats ont modifié leur politique en procédant à des investissements massifs dans des biens mobiliers et immobilier à travers le monde.

Ce n'est là qu'un juste retour des choses, qui a longtemps tardé à se manifester. Les USA ne pouvaient importer et payer en faisant tourner la planche à billets, impunément. Malheureusement, ils ne sont pas seuls à payer l'addition !

 

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