Qu'est-ce que la monnaie scripturale ?

 

La réponse à cette question est très difficile, tellement la monnaie est chargée d'histoire et de symboles. Après tant d'autres, nous allons essayer de donner une réponse.

Si chacun d'entre nous sait bien ce que sont les pièces et les billets de banque, il n'en va pas de même de la monnaie scripturale en raison de son caractère abstrait.

Scriptural, du latin scriptura selon le petit Robert, qui avait autrefois pour signification : "relatif à l'écriture sainte". Comment ne pas y voir le symbole du caractère ésotérique de la monnaie ?

Traitant de valeurs et de chiffres, monnaie scripturale peut se traduire par monnaie issue d'écritures comptables. Elle est effectivement créée, transférée et détruite par voie d'écritures, et c'est ce qui lui confère son caractère abstrait. Elle ne sort pas du champ bancaire et pour se transmettre elle nécessite un support : chèque, virement, lettre de change, carte bancaire ou autre support magnétique, etc.

Lancez une recherche "création monétaire" sur le site de la Banque de France et vous serez surpris de constater qu'il n'existe aucune véritable réponse à la question. Comment peut-on passer sous silence, au cœur même de l'Institut chargé de l'émission monétaire, un sujet aussi important et vital pour l'économie ?

Quand on essaie de percer le mystère qui l'entoure, on s'aperçoit que l'on a affaire à un système certes très complexe, mais que le pouvoir monétaire s'emploie à conserver secret en entretenant la confusion, par la loi, le vocabulaire, les informations équivoques ou biaisées, etc.

La loi française du 24 janvier 1984 précise que :

Les établissements de crédit sont des personnes qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque. Celles-ci comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement. Sont considérés comme fonds reçus du public les fonds qu’une personne recueille d’un tiers, notamment sous forme de dépôts, avec le droit d’en disposer pour son propre compte, mais à charge pour elle de les restituer...

Cette loi fait l'amalgame des banques qui créent la monnaie avec les établissements financiers qui ne peuvent que la faire circuler. Elle retient le terme d'établissement de crédit qui regroupe les deux. Et, fait plus grave et stupéfiant, elle élude totalement la création monétaire qui est à la base du métier de prêteur d'argent des banques de dépôts !

Enfin, le pouvoir monétaire reste protégé par des théories d'un autre âge, d'une efficacité redoutable parce qu'universellement reconnue, qu'il se garde bien de dénoncer : la théorie monétariste de l'inflation et celle du multiplicateur de crédit, pour ne citer que ces deux là.

Dans cette confusion soigneusement entretenue, les professionnels de la banque eux-mêmes ignorent, pour la plupart, ce que la banque fait de notre argent. En fait, chacun d'eux connaît très bien la pièce dans laquelle il joue, mais personne semble-t-il ne connaît l'édifice qui l'abrite.

De là sont nés les erreurs de conception qui encombrent et stérilisent les débats sur la monnaie.

La Banque de France reconnaît sans équivoque qu'elle est créée "ex nihilo" (à partir de rien) par les banques sur simple écriture comptable : une créance sur l'emprunteur à l'actif de leur bilan et une dette au compte de dépôt à vue (DAV) du client au passif.

Certains prétendent qu'il ne s'agit pas de monnaie, mais d'une simple promesse de payer. Ils oublient que c'est la définition même de la monnaie scripturale qui remplit ses trois principales fonctions : moyen d'échange, unité de compte et réserve de valeur (épargne).

La question fondamentale qu'il faut se poser est la suivante :

Où est la monnaie et comment circule-t-elle ?

La monnaie scripturale est toujours dans un compte de banque et n'en sort que sur ordre de son propriétaire ou déposant pour passer d'un compte à un autre ou pour être détruite (remboursement de sa dette par l'emprunteur, titrisation, par exemple).

La banque elle-même ne peut pas en disposer pour deux raisons fondamentales.

Primo, elle ne peut pas être à la fois monnaie et contrepartie, à la différence de l'établissement financier qui doit disposer des fonds pour les prêter.

Secundo, elle ne lui appartient pas, et elle n'en a pas besoin puisqu'elle la crée.

La banque "tire" sur ses caisses. L'établissement financier "tire" sur sa banque.

Cette différence fondamentale, masquée par la loi, est au centre de la confusion qui règne sur la monnaie.

A sa création donc, elle alimente un DAV. Puis, au fur et à mesure des ordres qui concrétisent les échanges entre les agents, elle passe de DAV en DAV. Quelques spécialistes, directeurs de banque notamment, sont d'accord jusque là pour dire que la banque n'utilise pas ou ne peut pas utiliser l'argent de ses clients.

En poursuivant l'analyse, les difficultés apparaissent.

Nous donnons tous régulièrement des ordres à notre banque pour que notre argent soit viré de notre compte DAV à notre compte de dépôt d'épargne ou à terme (DAT). Cette monnaie qui passe donc d'un DAV à un DAT appartient toujours au déposant, mais elle ne circulera plus tant que le déposant ne donnera pas l'ordre de la remettre dans les circuits (DAV).

Les banquiers eux-mêmes, pour la plupart, sont convaincus que l'épargne bancaire sert à financer de nouveaux prêts, ce qui est faux si l'on s'en tient aux arguments avancés jusqu'ici.

Les crédits font les dépôts à vue et à terme, dans les banques. Les dépôts à vue font les crédits, dans les établissements financiers.

Il convient de noter que le terme "d'établissement financier" n'existe pas dans le vocabulaire officiel, mais celui "d'établissement de crédit" beaucoup plus général, qui fait l'amalgame.

La monnaie scripturale est donc toujours dans un compte de banque et n'en sort que sur ordre de son propriétaire ou déposant.

On vient de voir que les déposants donnent régulièrement des ordres de virement de leur compte de DAV à leur compte d'épargne DAT. La monnaie est bien passée d'un compte à un autre, ici en mode interne. De vive ou active (DAV), elle est devenue inactive (DAT). L'épargne ne sera pas remise dans les circuits sans nouvel ordre.

On en déduit que l'épargne en banque est morte. Elle occupe des parkings monétaires sans utilité pour l'économie, ce qui apporte la preuve qu'elle freine effectivement l'allure de marche de l'activité de production, ce qui est intuitivement admis.

Nous allons à présent nous employer à démystifier le concept d'épargne tel qu'il est faussement répandu dans les esprits.

L'épargne est utile quand elle est captée par un établissement financier ou inutile lorsqu'elle est détenue par le système bancaire, comme on vient de le voir. La confusion résulte une fois de plus de l'amalgame fait par la loi bancaire, des banques qui créent la monnaie avec les établissements financiers qui ne peuvent que la faire circuler.

Pourtant, comme nous le savons, il existe une épargne réglementée qui doit être consacrée pour tout ou partie au financement social (logement) ou industriel (développement durable).

Alors, comment la banque peut-elle se libérer de ses obligations ?

En fait, au terme d'un processus extrêmement complexe décrit ci-après, qui peut se résumer à un transfert entre banques en monnaie centrale - qui leur est réservée - tandis que l'épargne bancaire est une monnaie secondaire - réservée exclusivement aux agents non bancaires (ANB).

Sur un marché appelé l'open market, la banque de dépôts se procure une monnaie dite centrale, à moins qu'elle n'en dispose au préalable. Cette somme égale à l'épargne réglementée, est virée de son compte à la Banque centrale à celui de la banque chargée de sa collecte, en France la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Il s'agit là d'une opération indépendante de l'épargne qui n'a pas quitté le compte du déposant à la banque de dépôts.

Mais, comme la monnaie centrale n'a pas cours entre agents non bancaires, la CDC crée à son tour la monnaie qu'elle prête à l'organisme (ANB) chargé de sa répartition, ce qui revient à alimenter en monnaie un nouveau DAV, contre une nouvelle créance.

Il s'agit là d'une supercherie monumentale, car la Banque centrale ne peut pas ignorer qu'en réalité les banques se livrent à un véritable simulacre de transfert d'épargne pour remplir leurs obligations. Mais elle tient absolument à faire croire que la monnaie et l'épargne circulent.

L'avouer serait porter un coup fatal à la théorie quantitative de la monnaie, pilier central de la politique monétaire de nos banquiers centraux, dont le fonds de commerce est l'inflation qui n'est qu'un spectre !

Examinons à présent le cas de La Poste française (avant qu'elle ne dispose en 2006 du statut de banque). Ce cas particulier semble être à l'origine de la confusion qui règne en matière d'épargne.

Avec ses Comptes Chèques Postaux (CCP), La Poste semble alors fonctionner comme une banque : elle tient des comptes de dépôts à vue et à terme. Elle met à la disposition de ses clients des instruments de paiement comme le fait une banque. Mais, elle ne prête pas d’argent.

En fait, ses déposants (sans le savoir) l'ont autorisée en vertu de la loi de 1984 à disposer de leurs fonds, à charge pour elle de les restituer. Il y a donc un transfert légal de propriété. La règle énoncée au-dessus s'applique bien.

Voici comment se déroule le processus.

Tous les chèques et virements tirés sur une banque quelconque à l'ordre des CCP, étaient endossés à l'ordre du Trésor Public, crédités au compte de celui-ci à la Banque de France, puis traités en compensation. Inversement, tous les chèques et virements tirés sur les CCP à l'ordre d'une banque quelconque, étaient traités en compensation puis débités au compte du Trésor à la Banque de France.

Si on fait le bilan des opérations, on s'aperçoit que le Trésor a disposé ainsi de tous les dépôts à vue et à terme de la clientèle des CCP. Si cette épargne est liquide, à la différence de celle qui est dans les parkings monétaires bancaires, c'est que la monnaie correspondante a toujours alimenté le compte de dépôt à vue (DAV) du Trésor à la Banque de France qui s'en est servi tout naturellement. C'était le but de l'opération ! On comprend ainsi pourquoi La Poste ne prêtait pas d'argent.

A fin 1996, dernière publication connue, le Trésor Public avait une dette de 176,8 milliards de francs envers La Poste. Cette somme a dû être remboursée par l'Etat lors du changement de statut.

La Poste avec ses CCP s'assimilait donc à un établissement financier.

Avant qu'elles n'adoptent elles aussi en 1999 le statut de banque, les Caisses d'épargne fonctionnaient comme un établissement financier. Les fonds de leurs clients étaient déposés - très vraisemblablement - à leur compte à la Caisse des Dépôts et Consignation. Elles "tiraient" donc sur leur compte à la CDC, comme le font tous les établissements financiers.

La différence de statut est considérable. Les Caisses d'épargne et la Banque postale ne s'y sont pas trompées, puisque maintenant comme les banques elles créent la monnaie et "tirent" sur leurs caisses.

La loi bancaire de 1984, dans ses termes visant les opérations de banque, ne sert à rien d'autre aujourd'hui qu'à tromper l'opinion !

La monnaie scripturale est toujours dans un compte de banque et n'en sort que sur ordre de son propriétaire ou déposant, règle à présent sans équivoque, puisqu'il n'y plus de court-circuit.

Il est curieux de constater que le pouvoir monétaire n'ait jamais cherché à retenir le critère de monnaie scripturale – issue d'écritures comptables - pour mesurer la masse monétaire émise. Comme la monnaie d'écritures laisse toujours une trace en comptabilité, le défaut de mesure ne peut pas être innocent !

 

Chaque transaction, chaque opération commerciale, financière, monétaire, fait l’objet d’une écriture comptable spécifique. Aussi, chaque écriture comptable a-t-elle une signification économique précise, c’est pourquoi la comptabilité est un formidable instrument d’investigation et d’analyse économiques et monétaires.

 

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