La Monnaie pleine par Jean Bayard

Réforme du système monétaire suisse

 

1 - Préambule

Les autorités monétaires, et les banquiers d’une manière générale, ont une horreur viscérale des référendums qui pourraient détruire l’ordre qu’ils ont eu tant de mal à établir au cours des décennies passées. C’est pourquoi tous les regards sont tournés aujourd’hui vers la Suisse et son projet appelé « Monnaie pleine » qui consiste à retirer aux banques commerciales le privilège de l’émission de la monnaie dite secondaire.

L’Initiative Monnaie Pleine a réussi son pari de réunir les 100.000 signatures afin de soumettre son projet à la votation du peuple suisse (référendum d’initiative populaire). Elle a réuni exactement 111.824 signatures.

Son but est de rendre à la Banque Nationale Suisse (BNS) l’exclusivité de l’émission monétaire, alors qu’en Suisse, comme partout dans le monde, les banques commerciales émettent de la monnaie scripturale dite secondaire dont l’émission n’est pas vraiment contrôlée par l’Institut d’émission.

Rappelons que la BNS a le monopole de l’émission de la monnaie papier et d’une monnaie scripturale dite centrale ; celle-ci n’ayant cours qu’entre les banques et le Trésor public. Tandis que la monnaie secondaire n’a cours qu’entre les agents non bancaires (ANB) puisqu’elle a été émise pour eux par les banques commerciales en contrepartie des crédits accordés.

En cas de faillite, les déposants risquent de perdre une partie de leurs dépôts et ces risques sont accrus depuis que les banques se livrent à des activités dites de casino (spéculation sur les produits dérivés en particulier).

En mettant en circulation une seule monnaie – la monnaie centrale de la BNS – on supprime ce risque de voir les déposants spoliés de leurs comptes à vue et à terme.

Dans cette perspective, ne circulerait plus que de la monnaie centrale et la banque deviendrait un simple établissement financier. Elle ne créerait plus de monnaie secondaire.

La question qui se pose est de savoir comment procéder pour supprimer toute création de monnaie secondaire par les banques et n’avoir en circulation que la monnaie de la BNS ?

C’est l’objet de ma proposition de réforme qui s’appuie sur la règle suivante :

Les banques accorderaient des crédits comme elles le font actuellement, mais pour le compte de la BNS (donc nécessairement avec son accord, puisque ce serait elle qui prendrait le risque de défaillance de l’emprunteur) et elles tiendraient les comptes à vue et à terme de leurs clients, dont la monnaie (CHS) seraient déposée à la BNS.

La monnaie scripturale est une monnaie issue d’écritures comptables. En conséquence, elle obéit aux règles strictes de la comptabilité et de la contrepartie comptable. Ainsi, pour que la monnaie soit celle de la BNS, il faut que les créances de la clientèle notamment soient portés à l’actif de son bilan, et non plus à celui de la banque de dépôt comme tel est le cas actuellement avec la monnaie secondaire.

Voici mes suggestions.


2 – Bilan agrégé ou somme des bilans des banques commerciales suisses (figure 1) avant réforme

Le modèle ci-dessous (Figure 1) présente la somme des bilans des banques commerciales suisses avant la réforme proposée. Il a été construit sur la base des données relevées dans la publication de la BNS sur « Les banques suisses 2014 ». Il reprend les rubriques du bilan agrégé des banques suisses.

Figure 1                                                                                                                                            (en milliards de CHF)

  Rubriques ACTIF   Rubriques PASSIF
       

 

  Banque Nationale Suisse        
  - Liquidités (toutes banques) 425,9      
         
  Banques et papiers monétaires     Banques et papiers monétaires

 

  - Créances sur les banques 447,6   - Engagements envers les banques 421,2
  - Créances papiers monétaires 29,2   - Engagements papiers monétaires 113,6
           
  Concours à l'économie (crédits accordés)     Dettes envers la clientèle  
  - Créances sur la clientèle 652,9   - Epargne et placements 639,5
  - Créances hypothécaires 918,6   - Obligation de caisse

23,7

           
        Dettes envers la clientèle  
        - Dépôts à vue 873,5
      - Dépôts à terme

257,0

           
  Activité propre de la banque     Activité propre de la banque  
  - Portefeuille titres et métaux précieux 153,6   - Emprunts obligataires et subordonnés

275,0

  - Immobilisations financières, participations 276,0   - Prêts centrales, de lettres, de gage

94,5

  - Actifs propres 137,9   - Passifs propres

152,4

        - Réserves pour risques bancaires

22,2

        - Fonds propres

169,1

         

 

  Total Général 3.041,7   Total Général 3.041,7

Notons au passage que les « Engagements envers la clientèle » au passif, enregistrés « sous forme d’épargne et de placements » ne sont pas scindés en deux parties : l’épargne liquide en CHF, et les placements qui ne sont pas liquides mais qui sont vraisemblablement des titres. S’il s’agit d’épargne liquide en CHF, pour partie comme nous le pensons, cette épargne devrait être traitée comme tout autre engagement à vue et/ou à terme (selon le cas) et par conséquent déposée à la BNS, selon le schéma qui suit.

Il nous paraît opportun de choisir l’arrêté des comptes annuel pour procéder à la réforme proposée. Nous allons à présent transférer les comptes de la clientèle de la manière la plus simple qu’il soit, par une simple écriture comptable relative essentiellement aux comptes en CHF (hors devises étrangères), comme suit :


Toutes banques              (en mds de CHF)                                                                                                                                     

  Rubriques ACTIF   Rubriques PASSIF
       

 

  Concours à l'économie en CHF        
  - Transfert à la BNS des créances sur la clientèle - 150,9      
  - Transfert à la BNS des créances hypothécaires - 903,8      
         

 

  Banque Nationale Suisse        
  - Transfert des dépôts à vue de la clientèle 357,8      
  - Transfert des dépôts à terme de la clientèle 58,6      
  - Liquidités (toutes banques) Comptes courants 638,3      
         

 

Une seule monnaie circulerait dorénavant, la monnaie centrale.

Les concours à l’économie (créances ordinaires et hypothécaires) seraient exclusivement accordés par la Banque centrale, ce qui pose un problème juridique. Ce ne sont plus les banques qui accordent des crédits, c’est la BNS, les banques agissant pour le compte de celle-ci.

Nous aurons alors le bilan agrégé après la réforme comme le montre la figure 2 ci-après.

 

3 - Bilan agrégé ou somme des bilans des banques commerciales suisses (figure 2) après réforme

Le modèle ci-dessous présente la somme des bilans des banques commerciales suisses après la réforme proposée. Il reprend et met en nouvelle forme les données relevées dans la publication de la BNS sur « Les banques suisses 2014 » à quelques réserves près exposées plus bas.

Il sert surtout de schéma modulable en fonction des opérations réelles, étant précisé que toutes les transactions faites en monnaie (CHF) par les banques devraient passer par leur compte à la BNS, soit pour le compte de leurs clients soit pour leur propre compte, dans un sens ou dans l’autre.

Figure 2                                                                                                                                            (en milliards de CHF)

  Rubriques ACTIF   Rubriques PASSIF
       

 

  Banque Nationale Suisse        
  - DAV pour compte clientèle (toutes banques) 357,8      
  - DAT pour compte clientèle (toutes banques) 58,6      
  - Liquidités (toutes banques) 1.064,2      
         
  Banques et papiers monétaires     Banques et papiers monétaires

 

  - Créances sur les banques 447,6   - Engagements envers les banques 421,2
  - Créances papiers monétaires 29,2   - Engagements papiers monétaires 113,6
           
  Concours à l'économie (crédits accordés)     Dettes envers la clientèle (Titres)  
  (après virement des créances en CHF)     - Epargne et placements 639,5
  - Créances hypothécaires en devises étrangères 502,0   - Obligation de caisse

23,7

  - Créances sur la clientèle en devises étrangères 14,7      
        Dettes envers la clientèle (en CHF)  
        - Dépôts à vue 357,8
      - Dépôts à terme

58,6

           
        Dettes envers la clientèle (en devises)  
        - Dépôts à vue 515,7
      - Dépôts à terme

198,3

           
  Activité propre de la banque     Activité propre de la banque  
  - Portefeuille titres et métaux précieux 153,7   - Emprunts obligataires et subordonnés

275,0

  - Immobilisations financières, participations 276,0   - Prêts centrales, de lettres, de gage

94,5

  - Actifs propres 137,9   - Passifs propres

152,5

        - Réserves pour risques bancaires

22,2

        - Fonds propres

169,1

         

 

  Total Général 3.041,7   Total Général 3.041,7

Les créances sur la clientèle et hypothécaires (en CHF) disparaissent de ce bilan agrégé pour être pris en compte par la BNS.

Bien que les modèles (figures 1 et 2) n’en fassent pas mention, nous avons isolés les comptes en devises étrangères afin de ne retenir que les comptes en CHF pour l’application de la réforme proposée.

Chaque banque disposerait de 2 comptes distincts à l’Institut d’émission dont le nom généralise la fonction. L’un pour les opérations avec la clientèle sans exception, l’autre exclusivement réservé à ses transactions propres. Le traitement en compensation devrait isoler évidemment la nature des opérations vers l’un ou l’autre compte, ce qui ne soulève aucune difficulté nous semble-t-il.

La Banque centrale accorderait les crédits à l’Etat, d’une part, et sur la demande des banques commerciales pour ce qui concerne les ANF et elles-mêmes, d’autre part. Elle contrôlerait l’activité des banques par les crédits qu’elle leur consentirait. Les banques ne peuvent plus émettre de monnaie.

Les devises traitées pour le compte de leurs clients suisses (import-export) devraient être achetées et vendues à la BNS. Il est rappelé en effet que la banque émet de la monnaie secondaire chaque fois qu’elle cède les devises pour le compte de leurs clients exportateurs et inversement la détruit chaque fois qu’elle achète des devises pour le compte de leurs clients importateurs.

Il n’existe plus de monnaie secondaire. La seule monnaie ayant cours légal est la monnaie centrale, fiduciaire et scripturale.

La BNS connaitrait au jour le jour les dépôts à terme (DAT), c’est-à-dire l’épargne déposée dans les banques. Elle pourrait ainsi procéder à la régulation monétaire nécessitée par le blocage de l’épargne en banque (parkings monétaires).

La Banque centrale, seul pouvoir de décision en la matière, accorderait les crédits demandés :

- par les banques pour le compte des ANB,
- par les banques pour leur propre compte,

selon la procédure générale nouvellement instaurée.

La banque ne tirerait plus sur ses caisses, mais comme tout établissement financier qu’elle devient, elle tirerait sur sa Banque centrale.

Le système est alors complètement bouclé et sécurisé.

 

4 - Conclusions

La présentation au vote du peuple suisse du projet « Monnaie pleine » ne pourra pas se réaliser – à mon humble avis – sur la base de débats sur les grands principes. Il faudra bien à un moment ou à un autre aborder les questions délicates de la technique bancaire, car c’est là que réside la réussite ou l’échec du projet auquel les banques, qui y voient une perte de leurs prérogatives, ne vont pas manquer de s’opposer fermement.

C’est donc, me semble-t-il, sur le terrain de la technique bancaire que pourra se gagner ou se perdre devant le public la réforme projetée par l’ « Initiative Monnaie pleine ».

Il serait vraiment dommage qu'une idée de base aussi excellente et indiscutable, qui alimente l’espoir de millions d’individus dans le monde, soit gâchée par une mise au point défectueuse.

Je ne peux pas prétendre avoir pensé à tous les détails d’une opération aussi ambitieuse, mais je me suis attaché à donner l’ossature centrale de son application.

Jean Bayard

(Texte tel qu’il a été remis à Initiative Monnaie Pleine, en Suisse)
Janvier 2016

 

Post Scriptum

Il nous semble utile d'insister une fois de plus sur certaines règles comptables concernant les bilans financiers de toute entreprise et tout particulièrement ceux des banques émettrices de monnaie.

Puisque nous sommes dans une société d'endettement, la monnaie scripturale (celle dont nous disposons à notre compte) inscrite au passif de la banque a toujours pour contrepartie une créance à son actif (celle de l'emprunteur). Les mouvements perpétuels entre agents non bancaires (ANB) ne changent rien à cette règle si l'on prend en considération la somme des bilans bancaires, ce qui en terme comptable s'appelle la consolidation - ou l'agrégation - des comptes.

Ceci pour bien comprendre que l'on ne peut pas utiliser une seule monnaie, en l'occurrence la monnaie centrale, celle émise par l'Institut d'émission si celui-ci n'a pas toutes les contreparties à son bilan. Plus précisément, cela veut dire que les créances à l'origine de la monnaie émise par l'Institut sont nécessairement inscrites à l'actif de son bilan ; cela veut dire aussi que les banques de dépôt ne peuvent pas posséder les créances à leur actif si la monnaie scripturale en vigueur (prêtée par la Banque centrale) est à leur passif. Il y a là incompatibilité comptable.

Cette règle n'a pas toujours été bien comprise par ceux-là même qui en Suisse sont chargés de la mise au point de l'Initiative Monnaie Pleine.

Septembre 2016

 

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