Comptes et mécomptes de la Fed

 

Voici le résultat de l’étude des derniers bilans de la Fed à l’aide de ses rapports annuels.

 

1 - Généralités

La Fed dirige douze « Regional Federal Reserve Banks » qui détiennent son capital, comme il en est de la BCE qui dirige les 17 (actuellement) Banques centrales de la zone euro, qui sont à son capital.

La Fed publie dans son rapport annuel, non seulement ses comptes, mais aussi les comptes consolidés de l’ensemble (Fed + les Fed régionales). Les comptes de la Fed et les comptes consolidés sont vérifiés et certifiés, séparément, par un ou deux cabinets de Commissaires aux comptes des plus renommés.

Une règle étonnante a été instituée pour les états financiers consolidés de la « Federal Reserve Banks » par ceux-là même qui sont chargés de les rédiger. Tous les excès sont permis quand les règles sont fixées par des gens qui sont à la fois juges et parties.

Voici ce que l’on peut lire dans le rapport annuel :

Accounting principles for entities with the unique powers and responsibilities of the nation’s central bank have not been formulated by accounting standard-setting bodies. The Board of Governors has developed specialized accounting principles and practices that it considers to be appropriate for the nature and function of a central bank, which differ significantly from those of the private sector. These accounting principles and practices are documented in the Financial Accounting Manual for Federal Reserve Banks (“Financial Accounting Manual”), which is issued by the Board of Governors. All of the Reserve Banks are required to adopt and apply accounting policies and practices that are consistent with the Financial Accounting Manual and the financial statements have been prepared in accordance with the Financial Accounting Manual.

Ce qui peut se traduire en résumé par :

Ces états ont été élaborés « en conformité avec les principes comptables établis par le Conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve, comme énoncés dans le Manuel de comptabilité financière pour les banques de la Réserve fédérale, principes comptables différents de ceux généralement reconnus aux États-Unis d'Amérique pour le secteur privé ».

Et enfin, une mention introduite par Deloitte & Touche dans leur rapport sur la vérification des comptes depuis 2007, qui n’existait pas auparavant dans les rapports de leurs prédécesseurs, disant ceci :

This report is intended solely for the information and use of the Board, management, and others within the organization, the Office of Inspector General, and the United States Congress, and is not intended to be and should not be used by anyone other than these specified parties.

Ce qui veut dire que le public n’est pas autorisé, selon Deloitte & Touche, à porter un jugement quelconque sur leur travail de vérification. Ce qui constitue un motif supplémentaire d’inquiétude sur la sincérité des comptes. Alors, pourquoi les publier ?

Cette phrase a disparu du rapport sur les comptes de 2011.

 

2 - Examen des rapports annuels

Que l’on veuille bien observer les changements intervenus aux cours des dernières années (avant et pendant la crise), comme le montrent les rapports annuels suivants :

• - Rapport annuel 2006 (exercice avant la crise de 2007)

Les comptes présentés par le « Board of Governors» (Fed) ont été audités et certifiés par KPMG. Les comptes consolidés de la « Federal Reserve Banks » l’ont été par Price Waterhouse Coopers (PWC).

• - Rapport annuel 2007 (exercice marqué par le début de la crise)

Les comptes présentés par le « Board of Governors» (Fed) ont été audités et certifiés par Deloitte & Touche. Les comptes consolidés de la « Federal Reserve Banks » l’ont été par Deloitte & Touche et par Price Waterhouse Coopers.

Deloitte & Touche remplace KPMG pour les premiers et collabore avec Price Waterhouse & Coopers pour les seconds.

Début de la passation du contrôle des comptes.

• - Rapport annuel 2008 (exercice en pleine crise)

Le cabinet d’audit Deloitte & Touche vérifie et certifie, tant les comptes présentés par le « Board of Governors» que les comptes consolidés de la « Federal Reserve Banks ».

Fin de la passation du contrôle des comptes.

• - Rapport annuel 2010 et 2011

Alors que des informations dignes de foi, non démenties, font état d’une situation de quasi-faillite de la Fed et de sa mise sous la protection du Trésor américain le 6 janvier 2011, les rapports sur les comptes des exercices 2010 et 2011 n’en font pas mention.

S’il est vrai que le bilan d’une Banque centrale par sa structure a un caractère particulier, tel le poste « Billets en circulation » au passif, il n’en demeure pas moins soumis aux règles de toute entreprise en matière de capitaux : les capitaux propres ne peuvent pas être négatifs.

Comment Deloitte & Touche peuvent-ils passer sous silence une telle dégradation des comptes. Les fonds propres de 53 milliards de dollars sont notoirement insuffisants pour absorber les pertes (provisions) qui devraient être enregistrées pour les créances douteuses (principalement les « mortgage-backed securities » de Fannie Mae et Freddie Mac de 848 mds$ à fin 2011). Ils se fondent sans doute au prétexte que ces créances sont garanties par l’Etat.

Il s’agit en fait d’une privatisation déguisée de la Fed que l’on ne veut pas déclarer, les Fed régionales ayant vraisemblablement refusé de participer à une augmentation nécessaire du capital de leur mère.

Aussi, est-il préférable que le prêteur en dernier ressort cède sa place à l’Etat payeur en dernier ressort !

Voila pourquoi, à notre avis, les cabinets KPMG et Price Waterhouse Coopers ont refusé de certifier des comptes dès qu’ils ont compris que les autorités monétaires voulaient masquer les effets de la crise dans leurs bilans annuels.

 

3 - Observations

Quand on sait ce que représente pour un cabinet d’audit d’avoir dans son portefeuille un client aussi prestigieux que la Banque centrale américaine, on peut se poser toutes sortes de question sur les conditions d’une telle double démission. Il vient tout de suite à l’esprit que ces cabinets aussi renommés ont refusé de certifier des comptes entachés d’erreurs délibérées comme le laisse supposer ce qui suit :

Il est d’usage chaque année de présenter le bilan de l’exercice clos comparé à celui de l’exercice précédent. Ainsi dans le rapport 2008, comptes consolidés, les bilans (actifs et passifs) de 2007 et 2008 sont publiés pour assurer les comparaisons d’une année à l’autre. Mais, si l’on se reporte au rapport 2007, on s’aperçoit que le bilan de 2007 comparé en 2008 a été modifié de manière substantielle dans la présentation des comptes d’actifs principalement.

On relève même une erreur dans le total du bilan de l’exercice 2007 : 915.129 millions $ selon le rapport 2007 et 914.776 millions de $ selon le rapport 2008. La différence (353 millions de dollars) n’est pas importante, mais il est inadmissible qu’un commissaire aux comptes certifie des comptes faux, de plus « bidouillés » à l’actif. C’est qu’en effet, d’une année à l’autre des rubriques entières ont disparues, remplacées par de nouvelles avec regroupement ou éclatement. Cela ne peut s’expliquer que par la recherche délibérée de confusion dans la présentation des comptes, car aucune explication détaillée n’est donnée, ni par les gouverneurs, ni par les commissaires, qui permettrait de passer d’une présentation à l’autre, comme les règles de la profession l’exigent en pareille circonstance.

Ainsi notamment, la rubrique “US government securities, net” de 2007 est devenue “US government federal agencies & government sponsored enterprise debt securities, net” en 2008, ce qui a permis d’enchaîner avec les comptes de 2008 et 2009, les deux rubriques en question disparaissant totalement en 2009.

Tous les faits relatés et les textes reproduits sont vérifiables dans les rapports annuels de la Fed. Leur interprétation n’engage évidemment que leur auteur.

 

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